dimanche 3 avril 2022

Les furtifs - Alain Damasio

J'ai acheté ce livre le jour de sa sortie : quelques heures après ma séparation avec le papa de mon fils. Une année plus tard, on avait décidé de se le co-lire avec mon amoureux. Nous n'avons pas réussi à trouver le temps d'aller plus loin qu'une cinquantaine de pages. Dans un quotidien bien rempli d'un an et demi. Puis ça s'est fini. Et ce pavé jaune qui restait là où le regard se pose. Je ne pouvais pas laisser ce chantier inachevé. Pour moi, Alain Damasio a toujours été un auteur à part, mais ce livre ça aura été le livre à part de l'auteur à part. Tout dans le timing pour sentir la pierre dans l'estomac lors de sa lecture et pourtant j'ai persisté, je suis restée collée au vent, dans ma trace. Et je suis contente de l'avoir fait. Il est magnifique. Merci à Alain de l'avoir dédicacé (même désenvouté) quand il est passé à Rennes en mars.
Tishka, la fille de Lorca a disparu sans explication. Lui croit encore qu'elle vit, qu'elle est peut être devenue une furtive et se met en tête de la retrouver (il entre dans la section "Récif" de l'armée à ces fins). Sahar, la mère de Tishka a fait son deuil et s'est séparée de Lorca à cause de ce ressenti divergent au sujet de leur fille. Nous allons suivre leur chemin de croix : de découvertes en espoirs ou en déceptions. Comme à son habitude, Alain Damasio a une écriture dense dans la forme et une richesse d'univers de ouf. Si on pouvait le diluer, cela ferait un roman normal.
J'ai fait de belles découvertes scientifiques, de construction alphabétique (à partir des céliglyphes) et de construction musicale (entre autre, le frisson). J'ai beaucoup aimé les passages sur l'auto-gestion des humains dans des communautés, la richesse d'univers technologique et politique pas si futuriste que cela, et le féminisme de la cellule Cryphe. J'ai été aussi particulièrement touchée par l'aspect maternel de l'intrigue ainsi que par ce couple qui doute, se fait et se défait.
Je suis fière d'avoir pu dire à Alain Damasio que ses livres sont "de l'orfèvrerie littéraire".

Citations
- Un jaune qui est si riche, si plein qu'on dirait de l'or végétal, de la joie fondue en lingot devenue couleur.
- Un réseau social est un tissu de solitudes reliées.

- Où? Tu fugues à 4 ans, tu vas où? Tu fourres quoi dans l'easter egg pour qu'on te recaptcha?

- En vérité j'étais tellement sidéré que je tentais de faire écran au choc avec des concepts en barricade.

- Je me suis levée ce matin avec une sensation de ciel au ventre et une prestance de petit nuage.

- Les furtifs nous ont appris une chose : il n'y a pas de lendemains qui chantent. Il n'y a que des aujourd'huis qui bruissent.

- Les enfants ne marchent pas, jamais : ils courent. Et si vous les regardez vraiment, ils ont tellement de sève ascendante en eux, ils sont tellement et animaux et buissons à la fois, et pierre en éruption qu'ils ne courent pas sans bondir en même temps, comme si leur propre pied était trop impétueux pour ne pas les enlever du sol. Si la gravité n'existait pas, en tous les sens du terme, on attacherait nos gosses avec des ficelles pour ne pas aller les chercher chaque soir dans le ciel.